Damas, tu coules dans ma gorge comme un vin romain acide et amer, où Pompée triomphant sur mes enfants orphelins fait ruisseler les larmes de son bonheur. Je sens malgré la longue distance, en dépit de mon autisme sidéral, au-delà de la conscience humaine, le hennissement mêlé au barrissement, le bruit des glaives à celui des lances, la plainte de Rome au geignement de la Perse.Damas ! Tu pousses l'outrecuidance jusqu'à venir occuper les moindres atomes de mon existence... Tu m'enserres... Ton amour plus grand que mon cœur où je te garde comme une goutte d'eau rare dans ce désert où gravitent des hommes plus chiens que les chiens des hommes. Tu oses prétendre à l'amour comme si tu étais un grand pays où toutes les capitales affluent pour célébrer ta noce au bal impétueux de l'histoire qui continue à s'écrire à l'ombre de l'imposture des âges.Le Sham où se noient de pudeur les mots vaincus au bord des phrases insolentes... Les mots impuissants se retirent en silence devant l'intolérance des phrases impudentes... Des moments éhontés de l'âge frelaté de l'ingratitude universelle. Omeyyade, je te salue du haut de ma misère millénaire, depuis le Grand Califat où tu reçus tes lettres de noblesse sous le regard paternel de ce grand Omar que nous aimons tant. Depuis, en véritables enfants de l'amour inné, nous sommes devenus plus que deux amis. Je prête serment de ne pas trahir le secret qui nous unit comme ce lien pur et mystérieux qui lie une femme à son petit. Je ne parlerai pas des ères abbasside, ikhchidite et fatimide, ces accidents de parcours qui ont sérieusement handicapé ta route en creusant le fossé entre toi et ta dignité.Enfin, au détour d'un pan d'histoire, le temps te gratifie de la grande révélation de tous les siècles, anciens, nouveaux et futurs et je n'ai plus besoin de raser les murs pour décliner mon identité. Tu portes haut et fort mon seul étendard aux quatre coins du vent qui souffle la plus belle symphonie de la galaxie, la plus authentique mélodie de la vie.Une riche odyssée nous unit et une longue marche nous attend encore avant d'atteindre le soleil qui pleure sur notre couche où le temps jaloux, bête et farouche a confisqué notre lit. Notre unique délit est d'aspirer au bonheur et à la paix que le monde chante et trahit pour un non, pour un oui.Je te fais un aveu aujourd'hui, car les jours qui me restent me sont tout à fait comptés : je ne t'ai jamais été infidèle même au plus profond de ma lâcheté. Tu peuples toujours mon essence et mon entité comme si tu étais le seul colon qui m'est destiné... Tu occupes ma langue où le verbe se terre à l'abri des paroles qui n'ont que ton nom pour mot d'ordre et de désordre. Tu es l'air que je respire tant que le ciel nous dénombre sous les décombres de la conjuration infâme et du vil complot. Tu me tues chaque jour davantage à ce pèlerinage de l'esprit qui s'abreuve tour à tour à tes âges meurtris.Tu sais, tu as toujours été cette perle de la vie ornant de sa magnificence ma riche histoire depuis la nuit des temps et tu continues malgré tous les vents à sévir sur mon esprit qui porte l'empreinte indélébile de ton sceau conquérant. En un mot, je t'aime et je ne saurais détester ce Sham qui me charme tant que tu en es le joyau.Cependant, je sens comme une arête de poisson en travers de la gorge chaque fois que ma mémoire bute contre le souvenir de cette période que je traîne comme un boulet de forçat accroché à mon misérable corps. Alors, du fond de mon désarroi immense où mon âme est tapie comme un lièvre aux aguets, j'ingurgite le vin acide et amer de la déchéance. La conjoncture se dresse terrible et horrible afin de me rappeler cette grande et triste parenthèse d'où suinte mon sang de bête blessée.Je traîne dans l'échancrure ténébreuse de ma raison la flétrissure grave et pernicieuse du temps qui creuse de sa folie meurtrière dans mon âme désossée de profondes ornières.