Les pieds en feu, Yatim s'arrête un instant de marcher. Il a déambulé toute la nuit de quartier en quartier sans savoir où aller et le matin venu, le faubourg Choujaya l'a surpris. Celui-ci n'existait plus ; il fut tout simplement rayé de la carte du pays et du cadastre de la ville qui croule sous les bombes. Quelques éclairs, quelques explosions ont suffi à tout balayer. La veille, les avions israéliens ont lancé des tracts sur la cité demandant à la population d'abandonner leurs maisons, car elles feront l'objet de bombardements. Les gens ont quitté leurs habitations au profit des rues pour leur propre sécurité. Cependant, c'était sans compter la lâcheté et la roublardise de l'ennemi : l'aviation et l'artillerie israéliennes déversèrent leur haine sur les voies et ruelles où des dizaines de familles croupissaient.Yatim respire l'odeur du soufre et de la mort le long de ce corridor où les gens courent dans tous les sens en criant, en gesticulant, en pleurant, en priant, en s'affolant aussi. Des jambes de tout gabarit, des têtes sans corps, des morceaux choisis tels des yeux et des oreilles jonchent sur le sol parmi la pierraille. Des enfants crevés avec leur sourire éternel défient le ciel toujours menaçant. Des femmes aux robes colorées de poussière et de sang ornent le paysage mortuaire où la vie se suicide sur le parvis de l'existence. Des cadavres se mettent à parler au nom des statistiques en folie. Treize à la douzaine, la mort distribue de nouvelles demeures aux exilés de la vie.L'odeur de la chair grillée se dissipe avec la fumée qui s'éparpille en transportant la nouvelle aux quatre coins de la Palestine qu'on assassine doucement et sûrement. En ce mois béni de ramadan, le quartier Choujaya compte ses morts sous le regard toujours concupiscent des Arabes et des musulmans qui s'apprêtent à fêter la fin du mois sacré. L'entité sioniste, comme à l'accoutumée, choisit les fêtes musulmanes pour avilir l'Ouma entière en y déversant son poison hypnotique et paralysant. À l'occasion d'Aïd-el-Fitr, elle souhaite à l'ensemble de la communauté islamique une descente décadente aux enfers et une mort aussi tragique que catastrophique à la société palestinienne. Cela renvoie à un certain Aïd-el-Adha que la puissante Amérique offrit au monde musulman et surtout au peuple irakien.Choujaya enterre ses morts, compte ses blessés, lèche ses blessures. Des chiens errants, ahuris, observent de loin la scène en se rabrouant du trop-plein de poussière ; ils ne comprennent rien à la misère humaine ; ils s'en lavent les pattes de cet imbroglio ; ils n'ont aucune canine contre personne ; ils ont faim comme les hommes qui ne leur accordent plus d'attention. Désintéressés, ils s'affalent à l'ombre du soleil en attendant la fin de la nuit, ce cauchemar qui ne s'achève plus. Las d'observer, de condamner, de s'énerver, de vilipender, Yatim finit par admettre que les chiens arabes sont mieux lotis que leurs maîtres arabes. Ici, la mort court les rues, toute nue, sans pudeur et sans aucun alibi. Elle frappe aveuglément sans distinction la population qui répond favorablement à une telle sollicitation. Cependant, cela ne s'avère être qu'une apparence vu que les gens continuent à vivre au milieu de la mort qui se retrouve seule et isolée parmi les Gazaouis décidés et engagés. Bof ! Qu'importe ! Si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain. Mourir vite et assassiné est mille fois préférable à décéder de vieillesse ou de maladie dans son lit.