Ironie du sort, Samir s'intéressait de plus en plus à sa femme au fur et à mesure qu'elle l'ignorait davantage. Il devenait attentionné en se rapprochant d'elle, plein d'égards, pour gagner ses faveurs, de nuit. Il lui apportait même des cadeaux, alors qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. « Tu fais vraiment pitié, salopard ! Hélas, il est trop tard pour toi, pauvre con ! Ce n'est plus l'heure, car après tout ce temps, tu arrives après l'heure. Imbécile et idiot, tu ne viens que lorsque tu me perds. Oui, mon cher mari, tu m'as déjà perdue, depuis que tu m'as vue me prendre en photos. ! Ce jour-là, ton destin d'époux avait été scellé par ces instantanés. Tu te fatigues pour rien en adoptant cette conduite et ces simagrées qui te rabaissent plus qu'elles ne te rapprochent, qui t'avilissent plus qu'elles ne te hissent. Mon cœur, ce bijou rare que tu n'as pas su préserver et apprivoiser ne peut jamais t'appartenir à l'inverse de mon corps qui reçoit malgré moi ta salissure. Mon cœur appartient, désormais, à celui qui sait l'entretenir, l'aimer, le comprendre et l'estimer. Cet autre, il est là chaque nuit parmi nous, mais tu ne le vois pas. Il entend même tes ronflements qui nous accompagnent comme une musique de chambre bien orchestrée. Mon pauvre corps dont tu n'as jamais su lui parler restait sur sa soif pendant que tu te gavais sans jamais lui accorder le moindre intérêt. Tu ne m'as jamais fait connaitre le véritable fruit de l'amour, tu ne m'as jamais fait vibrer, juste me salir et me jeter. Tu m'as épousée juste pour m'emprisonner et me détruire. Je n'oublierai jamais cette nuit de noces qui aurait dû être la plus belle de ma vie ; elle fut un enfer au lieu d'un paradis. Depuis, j'ai vécu sur les braises et notre couche était devenue une fournaise, un enfer dans un autre enfer. C'est fini, mon cher mari ! Adel occupe mes nuits, mes pensées, mon cœur, mon esprit, il est toute ma vie. Adel est mon homme ! Tu n'es plus qu'une chiffe molle que je dois jeter le temps de tout régler. »C'était ce qu'elle se disait chaque fois que son regard croisait Samir. Cette pensée fixe l'habitait, ne la quittait plus, même lorsqu'elle souscrivait à sa chaleur froide qu'elle détestait. Elle fermait les yeux pour partir en voyage vers d'autres lieux où un certain Adel l'attendait comme un dieu. Cette évasion l'aidait à faire passer la pilule de l'étreinte forcée. Alors, Adel prenait la place de son mari qui s'effaçait comme une ombre soudain éclairée. Le mépris qu'elle affichait à son endroit l'attirait irrésistiblement vers elle ; cela ajoutait un cran à sa détestation. Il ne s'en offusquait pas, au contraire il se l'expliquait. Il se justifiait sa conduite vis-à-vis de lui en se disant qu'elle avait raison de se comporter ainsi ; il l'avait tellement ignorée. Imbécile et arrogant, il pensait qu'il avait tout le temps de l'amadouer. Elle était sa femme et pouvait à tout temps en disposer. La séduction étant son fort, en un tournemain, il la reconquérait. Samir était devenu, enfin, un être sensé, mais cela ne suffisait plus. Elle s'était retranchée dans son petit royaume ; elle trônait sur un monde tout à fait acquis, sans se soucier des lendemains qui paraissaient, à leur allure première, totalement enchanteurs. De rituelles, ses rencontres nocturnes étaient devenues existentielles. L'amour virtuel était devenu, lui aussi, leur pain quotidien qu'ils se partageaient sur le lit de leur écran lumineux et si ardent. Les préjugés et les tabous avaient pris la clé des champs en leur laissant la place libre à leur intime expression. Les mots étaient devenus des charbons ardents, des braises dont l'incandescence enflammait leurs cœurs battant à l'unisson. Complices et concubins, ils s'offraient à travers des mots affolés, fous et affolants en écrivant en lettres d'or leur paradis interdit.