Fatima sentait ses membres la lâcher alors qu'elle tombait sans bruit dans un puits sans fond, dans une sombre nuit. Son cerveau, où un malin jouait au ping-pong entre ses deux oreilles qui vibraient comme si deux timbales venaient à s'y entrechoquer, se dilatait à chaque fois que la balle atteignait la paroi de son crâne. Sa vue fluctuait en lui rapprochant parfois les objets et d'autres fois en les éloignant ; elle ouvrait grand la porte à la folie naissante et à la peur exécrable qui s'emparaient peu à peu de tout son être. Des ogres ignobles, sinistres et sauvages peuplèrent soudain son esprit qui s'affaissa, étrangement halluciné. Un brouhaha empli de chuchotements confus et indescriptibles, de débris de voix charcutées, entrecoupées et vidées de tout sens, au milieu d'un fou rire immense, escaladait la gorge de Fatima comme une nausée durable et insurmontable, mais sans aboutir, cependant. Un mal terrible s'empara de sa tête où un homme avec un pieu s'affairait sur son crâne avec un ricanement absurde et insaisissable. Des mains gigantesques et nombreuses se mirent soudain à triturer toutes les parties de son corps endolori et les portes, d'un enfer pas tout à fait lointain, s'ouvrirent devant elle béantes et désarmantes.Fatima émergea de sa souffrance comme une dent malade que l'on extirpe, comme un bruit qui se noie dans le satin moelleux du silence. La drogue avait fait du bon travail en s'installant en elle tel un anesthésique. Elle ne ressentait plus qu'une certaine liesse habitant son cœur, lequel, à pleins ventricules, pompait les fragrances naissantes d'un bonheur irrésistible. Bienheureuse, elle ne sentait plus son corps qui se mouvait juste à l'idée qu'exprimât son intention. Tout était devenu léger, flasque et sans dimension. Un univers d'ouate et de coton prit possession de l'espace grotesque de la caverne en la rendant plus cosmique et plus stellaire. Fatima s'improvisait cosmonaute, le temps d'une nuit libertaire et fantastique où rêve et cauchemar se côtoyaient dans une ambiance feutrée, assourdie et somnolente, où la volonté était interdite et la réalité proscrite. Elle sentit mille mains se poser sur elle en un fourmillement extraordinaire en laissant dans leur sillage une sensation de volupté extrêmement délicate. Elle s'abandonna au plaisir telle une soie fine et légère que l'amour dénoue de son doigté artiste et sage ; on entendit son doux frou-frou quand elle atterrit comme une neige sans bruit dans le silence de minuit. Sans résistance, elle emplit la grotte et l'instant de sa vulnérabilité et son innocence.L'orgie battait son comble ! Tous les hommes se succédèrent souillant plaines et vallées de la riche prairie que la brume découvrait petit à petit, en prenant acte du malheureux désastre causé par la plus vile des barbaries. Sans pouvoir se plaindre ni demander réparation, Fatima se rendit compte de son infortune et du préjudice subi dans une totale dégénérescence en reprenant peu à peu ses esprits, alors que l'effet de la drogue l'abandonnait, par bouffées intermittentes. La perfidie monstrueuse venait de souiller la pureté sous ses beaux ombrages. C'était l'intempérance de la folie au service de la passion la plus aveugle, face à l'impuissance désarmée de l'innocence accablée. La perversion étant la culture, la finalité ne pouvait être qu'indécence et souillure. Sous la houle d'une colère vive et démentielle, Fatima piqua une crise d'hystérie. Ses cris emplirent un instant la grotte.On la laissa mugir comme une bête blessée se tordant de meurtrissures.Seule dans la solitude immense et uniquement armée de sa douleur féroce, elle se leva d'un bond et courut, toutes griffes dehors, sur Abou Talha, consciente qu'elle allait certainement droit à la mort. Elle fut interceptée in extremis par deux de ses sbires, mais cela n'empêcha pas le pistolet-mitrailleur d'aboyer toute sa bave dans le ventre profané et sali, le symbole de la vie.Tout se tut, tout s'éteignit.