Toutefois, lorsqu'elle apparut à contre-jour dans l'embrasure de la porte, il eut l'impression qu'elle émergeait d'une aquarelle tant sa silhouette était gracieuse et harmonieusement dessinée. Il en eut le souffle coupé. Son esprit involontairement sollicité n'eut que le temps de percevoir la beauté de la ligne et la grâce de la démarche quand elle prit la peine de faire les premiers pas vers lui. Il nota tout de suite l'aisance avec laquelle elle se déplaçait. Elle glissait, eut-on dit, sur un coussin d'air tant l'allure était légère. Dès que la porte se fut refermée sur la lumière du jour, elle apparut enfin dans toute sa splendeur. Il fut tellement subjugué par son charme et son élégance qu'il s'était replié sur lui-même. Toute sa personnalité en alerte, il se retrancha derrière la barricade de l'indifférence feinte et pleine d'artifices. Heureusement qu'il portait des lunettes assez sombres, autrement ses yeux l'auraient trahi. Elle ne pouvait donc les voir ni déceler le regard qui se délectait du beau paysage bleu. Le tailleur moulant admirablement son corps se passait bien de toute description tant, il était à lui seul toute une gamme de suggestion. Ce n'est qu'à l'instant où elle fut tout près de lui qu'il eut la condescendance d'ôter ses verres.Mourad regarda inconsciemment sa main droite au moment où son esprit trébuchait sur le moment où ils se serrèrent les leurs. Il ressentait encore l'ouate du toucher quand ses doigts se refermèrent sur les siens. Ce fut la plus douce poignée qu'il ait jamais connue. Lorsqu'elle retira enfin la main, elle laissa dans la sienne une empreinte merveilleuse. C'était sur ces impressions-là, virevoltant en travers de sa mémoire comme de jolis petits papillons......La cigarette consumée, il écrasa le mégot, puis se cala de nouveau dans son lit ; il ferma les yeux comme pour quitter un monde, a priori celui qui l'entourait ; il cherchait à retrouver celui où il s'enfermerait royalement avec ses idées pour reprendre le chemin de ses réflexions où un certain chariot avait percuté Mounia. Il battit des paupières pour chasser les images intruses venues interférer sur celle qu'il accrocha dans son zoom interne quand Mounia entrecroisa les jambes. Alors, un monde nouveau se referma sur lui. L'insistance de la peau blanche et soyeuse s'incrusta par sa puissance dans l'habitacle clairvoyant de son errance telle une parole silencieuse, s'accommodant fort bien du silence régnant dans la chambre. Le silence dans le silence avec pour unique parole le bruit sourd de la peau qui se touche et se froisse en se délassant dans la plus belle des séquences.Sur l'écran noir de ses paupières closes, Mourad se faisait du cinéma rose. La bouche pourpre qu'il regardait en cet instant formait un rond presque parfait ; elle l'engloutissait à travers le goulot bizarre que son esprit imaginait. Il se voyait descendre le long d'un tunnel noir et surtout froid, un boyau interminable où ses pensées vaporeuses essayaient en vain de s'accrocher aux parois lisses et glissantes. Il aboutit malgré lui, trituré par les méandres infinis de son âme, dans le labyrinthe de sa vie houleuse. Son voyage mental finit par accéder par la porte familiale comme si cela était un passage obligé, une fin en soi fatale. L'image d'abord embrouillée de sa femme puis nettement claire emplit tout le corridor de son esprit tourmenté.