Les tartines ne furent qu'une courte digression et le café quoiqu'il fût noir la replongea inévitablement dans ses soucis. Elle se sentit seule, abandonnée, dans cette cuisine superbement équipée de la petite cuillère argentée aux robots les plus sophistiqués. Cette maison au confort irréel lui parut soudain impersonnelle. Toutes les choses qui étaient là s'imprégnaient d'une mélancolie imperceptible comme si son tourment inaudible déteignait sur tout ce qui l'entourait. Cette désolation ne trouva encore une fois que ses yeux comme échappatoire et ultime endroit. Alors, elle posa doucement le bol à moitié vide sur la table et se prenant la tête de nouveau dans les bras, elle se remit à pleurer. Elle le fit vivement et à chaudes larmes cette fois donnant ainsi la mesure à son cœur, à hauteur de son émoi. Celui-ci entama son long lamento en s'exprimant de la manière la plus mélancolique qui soit. Elle se laissa aller sans retenue aucune, oubliant dans la foulée la présence de sa fille. Puis, sous le coup d'une colère soudaine et inopportune, elle balaya d'un coup le dessus de la table ; un bruit de casse énorme se répercuta dans toute la maison pendant quelques secondes. Enfin, tout se tut.Sa fille alertée par le vacarme était accourue en supposant que quelque chose de grave était arrivé. Celle-ci, mal réveillée, se tenait ahurie dans le chambranle de la porte de la cuisine. Elle regardait sa mère dans un état lamentable en train de pleurer. Avec ses dix-huit printemps, elle était déjà une femme d'une beauté indescriptible. Elle était assez blonde, avec une taille de guêpe et élancée. Sa chevelure lui allait à ravir ; elle lui tombait en rouflaquettes sur son minois encore enfantin. Ses yeux au regard troublant étaient petits et bleus. Mignon aussi était le nez. Sa bouche renvoyait à un bouton de rose éclaté tant les lèvres roses et charnues exprimaient l'étonnement dans une moue innocente et vraie. Sous son pyjama bleu, on devinait son corps frêle et certainement joli. D'une beauté à la limite de l'insolence, elle ne ressemblait nullement à sa mère. Toutes les deux étaient différemment belles. En ce moment précis, Mounia prit conscience d'une certaine présence et relevant la tête, elle vit du coin de l'œil quelque chose bouger. Tel un oiseau surpris dans son nid, elle se tourna carrément pour s'assurer du mouvement. Elle allait dire quelque chose, mais n'eut pas le temps d'articuler, car sa fille était déjà contre elle. L'élan était si franc et si imprévisible que les deux femmes roulèrent au sol. Elles s'embrassèrent dans un câlin tellement fort qu'on les aurait crues complices de quelque chose d'inattendu.Mounia chuchota à l'oreille de son enfant :-- Ce n'est rien mon chou, ce n'est qu'une brume passagère.Elle ne crut pas bon de s'étaler, mais ajouta quand même :-- Papa nous trahit...Samia accusa le coup sans dire un mot. Puis, au corps fragile et complètement abandonné, elle comprit que sa mère ne cherchait en elle qu'un soutien et un réconfort. Elle risqua sans conviction, alors :-- En es-tu sûre, maman ?Bien sûr, elle ne voulait pas de réponse, car elle savait son père capable de tels agissements. Et comment ! Ne l'avait-elle pas pris en flagrant délit, alors qu'il embrassait Nadia dans le salon ? Elle en avait été abasourdie. Elle n'en revenait pas, n'arrivant pas à concevoir l'image de son papa chéri qu'elle aimait à la folie, dans les bras d'une autre femme. Elle s'était éclipsée sans faire de bruit ; elle s'était retirée dans sa chambre et n'en était plus ressortie qu'après avoir mûrement réfléchi. Elle avait décidé de garder, à jamais, le secret enfoui en elle.